Un événement Ateliers d'Art de France

RENCONTRE AVEC STÉPHANE BERN

Entretien avec Stéphane Bern
à l’occasion de la 26e édition du
Salon International du Patrimoine Culturel.

Stéphane Bern, vous connaissez bien le Salon International du Patrimoine Culturel pour en être un fidèle visiteur depuis plusieurs années, vous y avez d’ailleurs lancé aussi la troisième édition de la mission Bern en 2019. Que vous évoque ce salon, que représente-t-il pour vous ?

Stéphane Bern : C’est la rencontre en présence du grand public, c’est très important, de tous les acteurs du patrimoine, c’est cette réunion autour des métiers d’art. Et c’est vrai que cette année je suis très content qu’Alain Griset vienne à cette visite parce qu’il faut insister sur tous les métiers d’art

Le thème de cette 26e édition du Salon est « Patrimoine et Territoires ». Quel peut-être le rôle du patrimoine à l’égard de la vie des territoires ?

Une chose est claire : le patrimoine est le seul facteur d’égalité entre les villes et les campagnes, entre nos territoires. Les territoires ruraux manquent de service public, de maternité, d’hôpital, de médecin, de réseau. En revanche, vous avez du patrimoine. 52% de notre patrimoine se trouve dans des communes de moins de 2000 habitants. Pour moi, c’est une richesse extraordinaire qu’il faut faire fructifier, qu’il faut mettre en valeur, qu’il faut protéger et préserver et qui peut évidemment permettre de sauvegarder le développement économique des territoires.

On le voit partout, et je le vois en particulier avec l’effet de ma mission, quand un monument est restauré, il entraine un développement économique derrière, des visites, l’ouverture de cafés.

Donc le patrimoine est la clé du développement de nos territoires. Nous devons comprendre que dans nos territoires, le patrimoine ce n’est plus un coût, mais un investissement, ce n’est plus un luxe mais c’est une nécessité. Il faut convaincre nos élus locaux que le patrimoine n’est pas superfétatoire, et leur montrer qu’en le sauvant, ils sauvent l’économie de leur territoire et de leur village.

Quel message adresseriez-vous aux potentiels visiteurs du Salon ? Pourquoi faut-il venir au salon, selon vous ?

Je crois que tous les amoureux du patrimoine devraient se rendre au Salon, car ceux qui sentent, peut-être, une vocation, peuvent y trouver la clé du bonheur. Et quand je dis bonheur, je veux dire la clé d’un apprentissage, la révélation d’un métier. 

Beaucoup de jeunes m’arrêtent au salon du patrimoine – chaque année, cela se produit – pour me dire que grâce à mes émissions, ils ont arrêté leurs études, commerciales ou d’ingénieur, pour se lancer dans la ferronnerie d’art, la restauration de vitraux etc.

Vous avez là tous les métiers d’art, autant que vous avez tous les grands acteurs de la préservation, de la restauration et de la conservation du patrimoine, et le fait de les réunir, de les mettre en lien peut faire naître des vocations dans le public.

Vous parliez des jeunes et de révélation : quel est selon vous le rapport de la jeune génération vis-à-vis du patrimoine, est ce que les jeunes sont plus nombreux à s’y intéresser ?

Je n’ai jamais vu autant de jeunes qui se passionnent pour le patrimoine. Ils trouvent là matière à exprimer une créativité, des talents artistiques.

Quand j’étais étudiant au lycée, on nous disait que si nous ne finissions pas nos études, nous finirions en apprentissage. C’était une punition. Aujourd’hui, c’est une récompense. Je ne vois pas de métier plus valorisé, plus valorisant que les métiers de l’intelligence de la main.  Et il y a un job pour chacun : on cherche des tailleurs de pierre, des couvreurs, des charpentiers, des staffeurs, des marbriers, des vitraillistes, cette richesse est incroyable.

Donc, oui, je rencontre beaucoup de jeunes qui aujourd’hui se passionnent pour ces métiers du patrimoine, qui sont sensibles à ce qu’il représente. Parce que qu’est-ce que le patrimoine ? Il est porteur d’identité, d’histoire, il nous relie les uns les autres, à un passé, passionnant. Oui je rencontre des jeunes passionnés, et passionnants.

Est-ce que vous auriez justement un message à adresser à cette jeune génération, susceptible de se tourner vers le patrimoine ?

Il faut leur dire que c’est un métier d’avenir, qu’il n’y a pas de chômage, qu’ils auront une vie qui sera d’autant plus heureuse qu’ils l’auront choisie, c’est-à-dire qu’ils pourront donner libre cours à leur talent divers, et en même temps sans crainte du lendemain, parce que les chantiers se succèdent les uns après les autres. C’est un métier d’avenir, valorisant, valorisé, mais surtout qui donne une colonne vertébrale, qui raconte une histoire

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de gens et de jeunes qui me disent à quel point ils sont fiers, heureux d’avoir participé à tel chantier. Je suis très touché de voir ces gamins qui montent sur nos échafaudages et qui taillent des pierres, qui restaurent des toitures pou des charpentes. Il y a là un sens très important dans leur vie.

La France présidera le Conseil de l’Union européenne à partir de janvier 2022 et accordera une place aux métiers d’art au titre de cette présidence, des métiers d’art qui sont le reflet du rayonnement de notre Patrimoine à l’international. En quoi la France est unique et enviée à l’international vis-à-vis du patrimoine ?

La France l’est, je le vois. Nous sommes un conservatoire des métiers d’art d’excellence. Ces métiers d’art disparaitraient définitivement s’il n’y avait pas les chantiers du patrimoine

La France est pionnière en la matière. Nous avons créé les Entreprises du Patrimoine Vivant, les EPV. Nous avons quelque chose à apporter à l’Europe et au monde : la protection des savoir-faire d’excellence. En même temps ce sont des savoir-faire familiaux, que l’on transmet souvent de génération en génération, et donc très fragiles : si on ne le fait pas, le savoir, la tradition se perd. C’est cela qu’il faut valoriser à l’étranger, c’est ce qui a fait notre force, notre richesse. Je vois que l’on restaure beaucoup mieux en France que dans beaucoup d’autres pays ou j’ai la chance de me rendre, donc je crois que notre exemple peut servir à d’autre.

Nous sortons d’une période de crise qui a fragilisé le monde entier mais aussi les acteurs du patrimoine. En tant que fervent défenseur du patrimoine, quelle vision d’avenir souhaiteriez-vous porter pour ce secteur ?

Le secteur du patrimoine et tous les métiers d’art du patrimoine ont beaucoup souffert de la crise évidemment. D’abord parce que les chantiers étaient à l’arrêt, et s’ajoute à cela l’inflation à l’issue de la pandémie, ainsi que le cout exorbitant des matières premières. Pour autant, nous avons eu la chance de maintenir les chantiers du patrimoine

Ce qui a été terrible, c’est qu’à partir du moment où les propriétaires privés du patrimoine n’avaient plus de billetterie, ils n’avaient plus de revenus. S’ils n’avaient plus de revenus, ils ne pouvaient pas lancer les travaux. Et si on ne lance pas les travaux, il y a 35 000 artisans d’art au chômage, et au-delà d’eux, leur propre famille. Il y avait là un enjeu essentiel, c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas cessé, avec la mission Bern, de faire les chantiers du patrimoine.

Donc la vision d’avenir, c’est de faire en sorte que de plus en plus, dans un cercle vertueux, pour restaurions le patrimoine historique national, c’est-à-dire que nous prenions tous conscience collectivement que le patrimoine n’est pas que l’affaire de l’État, des collectivités territoriales, mais qu’il est l’affaire de tous, de vous, de moi, nous en sommes individuellement et collectivement les dépositaires.

Mon rôle est de dire « sauvons le patrimoine », et pour sauver le patrimoine, il faut trouver des moyens, et ces moyens doivent nous permettre de faire vivre toutes une jeune génération qui fait l’apprentissage des métiers d’art

Je crois que dans notre malheur, le malheur de Notre Dame de Paris, il y a aussi un chantier école  qui est en train de naitre et qui peut créer des vocations, parce que c’est la richesse de la France.

Autrefois je disais que les métiers d’art étaient le pétrole de la France, aujourd’hui je dirais c’est l’énergie renouvelable de la France : une énergie que l’on peut valoriser sans fin. A condition que l’on assigne une nouvelle vocation au patrimoine : tous les châteaux ne sont pas destinés à être visités comme le Château de Versailles, certains peuvent être transformés en espace de co-working, des couvents sont transformés en centre d’accueil pour autistes, etc. Mais si collectivement, nous sauvons le patrimoine, d’abord nous permettrons à tous les artisans d’art d’avoir un métier, ensuite notre nation se sentira fière d’appartenir à une histoire. 

 N’oublions pas que nous ne sommes que les maillons d’une chaine : le Patrimoine nous vient de nos pères et de nos mères, et que nous devons le transmettre aux générations futures dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé.